Le bien est voulu, il est le résultat d'un
acte, le mal est permanent. Le mal se fait sans effort, naturellement, par
fatalité ; le bien est toujours le produit d'un art. Il n'y a rien de bon ni de mauvais sauf ces
deux choses : la sagesse qui est un bien et l'ignorance qui est un mal. Voulez-vous nuire à quelqu'un ?
N'en dites pas du mal, dites-en trop de bien. Il est plus désirable de cultiver le respect du bien que
le respect de la loi Le bruit fait peu de bien, le bien fait peu de bruit On n'aime que les femmes qu'on rend heureuses. On peut défaire n'importe quel bonheur par la
mauvaise volonté. [...] J'aurai beau tricher et fermer les yeux
de toutes mes forces... Il y aura toujours un chien perdu quelque part qui
m'empêchera d'être heureuse... Le bonheur et le malheur sont toujours relatifs
à quelque situation antécédente dont on conserve le souvenir. Le vrai bonheur coûte peu ;
s'il est cher, il n'est pas d'une bonne espèce. L'homme jouit du bonheur qu'il ressent, et la
femme de celui qu'elle procure. Le bonheur n'est pas le but mais le moyen de la
vie. Un grand obstacle au bonheur, c'est de
s'attendre à un trop grand bonheur. Dieu n'a pas prévu le bonheur pour ses
créatures : il n'a prévu que
des compensations. Jconnaîtrai jamais le bonheur sur terre Le bonheur [...] est un fruit délicieux, qu'on
ne rend tel qu'à force de culture. Si tu veux comprendre le mot de bonheur, il
faut l'entendre comme récompense et non comme but. Lorsqu'on souffre d'une vraie souffrance, comme
on regrette même un faux bonheur ! Les familles heureuses se ressemblent toutes;
les familles malheureuses sont malheureuses chacune à sa façon. Ce qui m'intéresse, ce n'est pas le bonheur de
tous les hommes c'est celui de chacun. Tout bonheur est un chef-d'œuvre :
la moindre erreur le fausse, la moindre hésitation l'altère, la moindre
lourdeur le dépare, la moindre sottise l'abêtit. La grande affaire et la seule qu'on doive avoir, c'est de
vivre heureux. Bonheur : faire ce que l'on veut et vouloir ce que l'on
fait. Le bonheur, c'est être heureux ; ce n'est pas de faire
croire aux autres qu'on l'est. Tant d'hommes qu'on croit heureux parce qu'on ne les voit
que passer. Le bonheur ne consiste pas à acquérir ni à jouir, mais
à ne rien désirer, car il consiste à être libre. On n'est pas heureux : notre bonheur, c'est le silence du
malheur. Le bonheur est une chose bizarre. Les gens qui ne l'ont
jamais connu ne sont peut-être pas réellement malheureux. Le bonheur est à ceux qui se suffisent à eux-mêmes. On estime beaucoup les femmes bonnes, mais sans
esprit, [...] mais on finit par bâiller auprès d'elles. Les leçons de la vie nous enseignent que,
parfois, pour être bon, il faut cesser d'être honnête. Ce n'est ni l'amitié ni la bonté qui nous
manquent, mais nous qui manquons à l'amitié et à la bonté. Il y a des semences de bonté et de justice
dans le cœur de l'homme, si l'intérêt propre y domine. La calomnie est une guêpe qui vous importune
et contre laquelle il ne faut faire aucun mouvement, à moins qu'on ne soit sûr
de la tuer, sans quoi elle revient à la charge, plus furieuse que jamais. Plus une calomnie est difficile à croire, Ce qui persuade, c'est le caractère de celui
qui parle, non son langage. La source de nos chagrins est d'ordinaire dans
nos erreurs. Le bonheur est salutaire pour les corps, mais
c'est le chagrin qui développe les forces de l'esprit. On ne se console pas des chagrins, on s'en
distrait. L'homme absurde est celui qui ne change jamais. La femme change et ne change pas. Elle est
inconstante et fidèle. Elle va muant sans cesse dans le clair-obscur de la
grâce. Celle que tu aimas ce matin n'est pas la femme du soir. C'est une question de propreté :
il faut changer d'avis, comme de chemise. Choisir !
c'est l'éclair de l'intelligence. Hésitez-vous ?...
tout est dit, vous vous trompez. Rien ne marque tant le jugement solide d'un
homme, que de savoir choisir entre les grands inconvénients. Dans les grandes choses, les hommes se montrent
comme il leur convient de se montrer ;
dans les petites, ils se montrent comme ils sont. Il faut beaucoup de naïveté pour faire de
grandes choses. Que l'importance soit dans ton regard, non dans
la chose regardée. Tous les hommes ne sont pas capables de grandes
choses, mais tous sont sensibles aux grandes choses. Chaque fois que nous entendrons dire :
de deux choses l'une, empressons-nous de penser que, de deux choses, c'est
vraisemblablement une troisième. Les grands hommes se passionnent pour les
petites choses, quand les grandes viennent à leur manquer. Pour exécuter de grandes choses, il faut vivre
comme si on ne devait jamais mourir. Il n'est pas plus étrange qu'un athée vive
vertueusement qu'il n'est étrange qu'un chrétien se porte à toutes sortes de
crimes. C'est quand on est vaincu qu'on devient
chrétien. Les hérésies sont la grande vitalité de
l'idéal chrétien. – Et
le Christ ? L'Évolution, en découvrant un sommet au
Monde, rend le Christ possible, tout comme le Christ, en donnant un sens au
Monde, rend possible l'Évolution. La civilisation, c'est la culture de tout ce
que le christianisme appelle vice, frivolité, plaisirs, jeux, affaires et
choses temporelles, biens de ce monde, etc. Le christianisme a été prêché par des
ignorants et cru par des savants, et c'est en quoi il ne ressemble à rien de
connu. Le coup d'état du christianisme, c'est d'avoir
installé la fatalité dans l'homme. De l'avoir fondée sur notre nature. Le christianisme dans sa véritable
signification détruit l'État. La perfection de Bouddha est plus belle que
celle du christianisme parce qu'elle est plus désintéressée. Le christianisme est un caméléon éternel, il
se transforme sans cesse. Ma propre position dans le ciel par rapport au
soleil ne doit pas me faire trouver l'aurore moins belle. Au Ciel, un ange n'a rien d'exceptionnel. On pourrait définir le ciel comme l'endroit
que les hommes évitent. Chaque civilisation a les ordures qu'elle
mérite. L'homme succombera tué par l'excès de ce
qu'il appelle la civilisation. Il existe infiniment plus d'hommes qui
acceptent la civilisation en hypocrites que d'hommes vraiment et réellement
civilisés. La civilisation n'est autre chose que le mode
de végétation propre à l'humanité. Je fais bien de ne pas rendre l'accès de mon cœur
facile ; quand on y est une
fois entré, on n'en sort pas sans le déchirer ;
c'est une plaie qui ne cautérise jamais bien. [...] Un cœur n'est juste que s'il bat au
rythme des autres cœurs. Le cœur est la source de toutes les erreurs
dont nous avons besoin. Le cœur se trompe comme l'esprit [...] Dans la vie courante, dans ses relations avec
ses pareils, l'homme doit se servir de sa raison, mais il commettra moins
d'erreurs s'il écoute son cœur. Et ne voyais-tu pas, dans mes emportements,
Celui qui obéit est presque toujours meilleur
que celui qui commande. Il est toujours facile d'obéir, si l'on rêve
de commander. Aimez qui vous résiste et croyez qui vous
blâme. La complaisance fait les amis, la franchise
engendre la haine. Je ne cherche pas à comprendre pour croire,
mais je crois pour comprendre. C'est surtout ce qu'on ne comprend pas qu'on
explique. Nous ne sommes pas responsables de la manière
dont nous sommes compris, mais de celle dont nous sommes aimés. La jeunesse a cela de beau qu'elle peut admirer
sans comprendre. Comprendre, c'est pardonner. Si on comprenait, on ne pourrait plus juger. Comprendre, c'est compliquer. C'est enrichir en
profondeur. On se lasse de tout, sauf de comprendre. Juger est quelquefois un plaisir, comprendre en est
toujours un. Pour expliquer un brin de paille, il faut démonter tout
l'univers. La grandeur de l'homme est dans sa décision
d'être plus fort que sa condition. L'homme ne peut se trouver qu'à la condition,
sans relâche, de se dérober lui-même à l'avarice qui l'étreint. Du savoir extrême à la connaissance vulgaire,
la différence est nulle. L'homme connaît le monde non point par ce
qu'il y dérobe mais par ce qu'il y ajoute. Toute connaissance que n'a pas précédé une
sensation m'est inutile. La connaissance, c'est l'expérience que fait l'homme de
l'unité qui unit tous les hommes. Connaître, ce n'est point démonter, ni expliquer. C'est
accéder à la vision. Ce que les hommes veulent en fait, ce n'est pas la
connaissance, c'est la certitude. Un défaut qui empêche les hommes d'agir, c'est de ne
pas sentir de quoi ils sont capables. Quand l'homme se regarde beaucoup lui-même, il en arrive
à ne plus savoir quel est son visage et quel est son masque. Il ne peut y avoir révolution que là où il y
a conscience. Ils envoient leur conscience au bordel et
tiennent leur contenance en règle. La mauvaise conscience, c'est pour les hommes,
les femmes l'ont presque toujours bonne, quand elles en ont. Je ne sais pas ce qu'est la conscience d'un
sot, mais celle d'un homme d'esprit est pleine de sottises. La conscience est la voix de l'âme, les passions sont la
voix du corps. Ne faites rien contre votre conscience, même si l'Etat
vous le demande. Une circonstance imaginaire qu'il nous plaît
d'ajouter à nos afflictions, c'est de croire que nous serons inconsolables. C'est une consolation de partager le même
malheur et de ne pas être seul à souffrir. Pourquoi les consolations ? Plus vives elles sont, plus
elles élargissent le malheur. On ne se console pas des chagrins, on s'en distrait. Tout homme est sensible quand il est
spectateur. Tout homme est insensible quand il agit. Tant de mains pour transformer ce monde, et si
peu de regards pour le contempler ! Il est plus laborieux de conduire les hommes
par la persuasion que par le fer. Tout pouvoir vient d'une discipline et se
corrompt dès qu'on en néglige les contraintes. Une opinion n'est choquante que lorsqu'elle est
une conviction. Les convictions sont des ennemies de la
vérité plus dangereuses que les mensonges. La jeunesse est un temps pendant lequel les
convictions sont, et doivent être, mal comprises: ou aveuglément combattues,
ou aveuglément obéies. Pourquoi, après une âme, nous avoir offert un
corps ? J'aurais mieux aimé n'être qu'une âme ou
seulement un corps, mais pas les deux à la fois ! [...] Ce n'est pas l'esprit qui est dans le
corps, c'est l'esprit qui contient le corps, et qui l'enveloppe tout entier. Mon corps est un jardin, ma volonté est son jardinier. Il faut entretenir la vigueur du corps, pour conserver
celle de l'esprit. Que dix coupables échappent à la justice,
plutôt que souffre un seul innocent. À force d'être juste, on est souvent
coupable. Le couple heureux qui se reconnaît dans
l'amour défie l'univers et le temps; il se suffit, il réalise l'absolu. Se servir d'une seule âme pour être deux. Cette chose plus compliquée et plus confondante que
l'harmonie des sphères : un couple. Il n'y a jamais eu de créature. Il n'y a jamais eu que
le couple. N'est-elle pas plus morale, l'union libre de deux amants
qui s'aiment, que l'union légitime de deux êtres sans amour ? Il y a une solitude, même entre mari et femme, un
gouffre ; et cela, on doit le respecter. Deux époux doivent se garder de se quereller quand ils
ne s'aiment plus assez pour les réconciliations. Je ne puis admirer pleinement le courage de
celui qui méprise la vie. On ne peut répondre de son courage quand on
n'a jamais été dans le péril. Les sentiments produisent le courage actif, et la
philosophie le courage passif. Le vrai courage pour moi, c'est la prudence. Le courage est compatissant, la faiblesse égoïste. Tirons notre courage de notre désespoir même. Le grand courage, c'est encore de tenir les yeux ouverts
sur la lumière comme sur la mort. Je crains ce que je veux et veux ce que je
crains. La seule chose que nous ayons à craindre est
la crainte elle-même. Il entre dans toutes les actions humaines plus
de hasard que de décision. Il arrive que les grandes décisions ne se
prennent pas, mais se forment d'elles-mêmes. Il faut se contenter de découvrir, mais se
garder d'expliquer. Ce fut admirable de découvrir l'Amérique,
mais il l'eût été plus encore de passer à côté. Si l'on vit assez longtemps, on voit que toute
victoire se change un jour en défaite. Les défaites de la vie conduisent aux plus grandes
victoires. Chaque classe d'hommes tombe dans un excès qui
lui est particulier. On peut connaître la vertu d'un homme en observant ses
défauts. En voulant éviter un défaut, les sots se
jettent dans le défaut contraire. Nous vivons avec nos défauts comme avec les
odeurs que nous portons : nous ne
les sentons plus ; elles
n'incommodent que les autres. Une vertu n'est qu'un vice qui s'élève au
lieu de s'abaisser ; et une
qualité n'est qu'un défaut qui sait se rendre utile. Nos défauts sont parfois les meilleurs
adversaires que nous opposions à nos vices. Voici demain qui règne aujourd'hui sur la
terre. Notre existence est l'addition de journées qui
s'appellent toutes aujourd'hui [...] Une seule journée s'appelle demain :
celle que nous ne connaîtrons pas. Grands hommes !
Voulez-vous avoir raison demain ?
Mourez aujourd'hui. |